
Réponse de l'Association de Défense des Ressources Marines
au journal le SUD OUEST du dimanche 3-2-2019
« LA PÊCHE FRANÇAISE DURABLE OU COUPABLE ? »
rédigé par le journaliste Jean-Denis RENARD
Cet article en pleine première page mérite une réponse afin de contrer une désinformation et une propagande de plus en plus visible au fur et à mesure que l'effondrement de la ressource commande un changement de paradigme majeur.
"48% des volumes pêchés proviendraient de ressources durables"
La page présentant les travaux du CSTEP
(Comité Scientifique, Technique et Économique de la Pêche) indique qu'en 2016, la part des débarquements français de la zone 27 (Atlantique nord-est) dont la mortalité par pêche est certainement durable n'est que de 30,1%.

La situation s'améliore mais on est loin des 48% publiés par le communiqué de presse de l'IFREMER, d'autant plus que ce chiffre concerne les deux zones 37 et 27.
Or en zone 27 (Méditerranée), la part des débarquements français dont la mortalité par pêche est certainement durable n'est que de 2,4%.

En Méditerranée, la situation n'est pas "caricaturale" comme le qualifie Jean-Denis RENARD, le journaliste du SUD OUEST, mais elle est tout à fait catastrophique et même dramatique.
Pour la Nouvelle-Aquitaine, 3 espèces seulement, le merlu européen et les 2 baudroies avec respectivement 46 % et 11 % des apports cumulés entre 2013 et 2015 correspondent à plus de la moitié des volumes débarqués.
Évoquer ces 48% du volume capturé sans préciser qu'ils ne correspondent qu'à 3 espèces parmi non pas 150, mais 220 n'est pas représentatif de l'impact réel que nous avons sur les 217 autres espèces : c'est même typiquement de la désinformation.
"Les espèces vedettes du golfe de Gascogne se porteraient mieux"
Parmi les « quinze espèces d'importance pour la pêche et la conchyliculture en Nouvelle-Aquitaine », on trouve 11 espèces de poisson dont la situation est la suivante :
(1) l'anchois commun va mieux, le CIEM le confirme et on le constate bien en mer, mais au prix d'une casse sociale retentissante (moratoire de 5 ans, 400 navires à la casse entre 2005 et 2010),
(2) l'anguille européenne est sur liste rouge de UICN depuis 10 ans, et l'interdiction totale de pêche est réclamée par le CIEM. On joue avec le feu pour quelques fermes marines...
(3) le bar commun est en très grande difficulté, comme l'article le signale ( merci pour lui), et sa gestion se fait au détriment de la pêche récréative, qui fournit pourtant un service socio-économique bien supérieur à celui de la pêche commerciale, comme à chaque fois qu'il s'agit d'un « poisson de sport ». C'est une privatisation accéléré et illégale d'un bien commun, prioritairement au bénéfice des pélagiques qui continuent à rafler les frayères.
(4) les 2 baudroies d'Europe : le CIEM prévient que l'agrégation constatée des données empêchera de s'apercevoir que l'une des deux espèces est en danger.
(5) la daurade royale : officiellement, « on ne peut présenter d'évaluation en bonne et due forme », mais ce fabuleux poisson a déserté nos estrans depuis plus de 20 ans,comme tant d'autres espèces
(6) le maquereau commun, décimé par les pélagiques, dont la taille diminue drastiquement puisqu'il n'a même plus le temps de se reproduire : sa biomasse diminue depuis 2011, elle est actuellement en dessous de la biomasse critique Bmsy pour la première fois depuis 12 ans, la mortalité par pêche est largement au dessus de la mortalité Fmsy qu'il ne faudrait pas dépasser. Ce poisson anti-bredouille commence lui aussi à disparaître alors que plus de 300 000 tonnes sont encore autorisées.
(7) le merlu européen va remarquablement mieux en effet, grâce à la multiplication des plans pluriannuels pour freiner les abus des pêcheurs (le fameux box merlu) et aussi, c'est reconnu grâce au réchauffement climatique.
(8) la sole commune (solea solea) : il est bien trop tôt pour se satisfaire d'une amélioration timide et récente, la biomasse est bien au-dessus du seuil Bmsy, sauf en 2014 et 2015, la mortalité n'a baissé sous le seuil Fmsy qu'en 2017. Le recrutement n'est pas du tout rassurant7.
(9) le saumon atlantique : sachez que le gouvernement français a déclaré que « le saumon pyrénéen pourrait être menacé d'extinction totale » mais persiste à autoriser une pêcherie commerciale sur l'Adour. À ce propos, l'Association de Défense des Ressources Marines conduit en ce moment 6 recours dont deux d'importance majeure, devant les tribunaux administratifs de Pau, Rennes et Bordeaux. Et ce n'est pas fini...
(10) la grande alose (Alosa Alosa) est exactement dans la même situation que le saumon atlantique. Elle est aussi concernée par nos recours.
(11) le maigre : « ressuscité » à la fin des années 90, le CIEM n'a jamais donné son avis, il n'y a pas de TAC et il n'est même pas répertorié par le CSTEP. Pourtant sa pêche en France est une véritable boucherie avec plus de 87% de juvéniles débarqués de moins de 2 kg, souvent dans la grande majorité des poissons de la taille d'une assiette alors que la femelle n'est mature qu'au delà de 80 cm (5kg). Sur ce coup, il faut admettre, une fois n'est pas coutume que l'IFREMER a joué correctement son rôle. L'ADRM a introduit deux recours devant le TA de Paris pour contester les tailles minimales de commercialisation (30 cm) et de captures pour les amateurs (45 cm).

Les résultats des criées s'effritent chaque année
Les résultats des criées s'effritent chaque année
La tendance lourde des résultats de toutes les criées françaises n'est pas à l'optimisme. Si économiquement, la situation est toujours viable pour ce secteur subventionné à 80%, c'est à cause de l'inexorable augmentation de la demande qui tend les prix sans discontinuer et de la relative stabilité du prix du gasoil. Jusqu'à quand ?

Au niveau régional, la tendance sur Arcachon, 2nd port français du début du XXième siècle est révélatrice :

Depuis 50 ans que les chaluts ratissent les plages girondines à 0,3 MN, il ne faut pas s'étonner de cette lente agonie. En mai 2018, l'ADRM a déposé un recours contre ces pratiques inadmissibles voulues par la DIRM-SA afin de tenter d'éclairer des gestionnaires incapables de la moindre analyse sur le fond : le directeur de la criée en est encore à stigmatiser « trois chaluts d'Arcachon et un fileyeur » qui choisissent de vendre en Espagne plutôt que de contribuer à la criée et le MARIN s'en prend aux mesures conservatoire d'arrêt biologique....
L'érosion de la biodiversité marine est évidente
L'effondrement de la biodiversité est devenu une réalité pour l'opinion publique au même titre que le réchauffement climatique en cours.
À en croire les halieutes payés par l'état, il faudrait être optimiste et les croire sur parole pour le seul milieu que nos yeux ne voient pas : les citoyens ne sont pas dupes.
Au niveau du golfe de Gascogne, une étude retentissante l'a démontré pour les ressources halieutiques en analysant les captures des pêcheurs professionnels depuis l'après guerre.
En étudiant les quantités de poissons capables de se reproduire (la biomasse B) et les mortalités F imposées par la pêche, les scientifiques démontrent que, dans la période 1984-2006 les stocks de morues, soles, plies, merlus et baudroies évoluent dans la zone rouge dangereuse où les stocks peuvent s’effondrer à tout instant.

Le déclin des débarquements est significatif au regard de la spectaculaire augmentation de la pression de pêche, et de la recherche permanente d’autres espèces, et d’autres zones de pêche.
On ne prend pas davantage de merlus que pendant l’entre deux guerre. Même constat pour la morue, l’espèce la plus surexploitée d’Europe et dont les représentants, comme ceux de 11 autres espèces n’ont pas le temps d’atteindre la maturité sexuelle : même observation pour la plie, la sole, ou l’églefin par exemple. Le bar est en déclin.
On prend deux fois moins d’araignées de mer malgré des longueurs de filets multipliées par 10, des maillages réduits de 160 mm à 110 mm, une saison de pêche élargie et de nouvelles zones de pêche.
Entre 1965 et 1975, les merlus débarqués en Espagne et en France mesuraient entre 5 et 10 cm. Finalement, une amende de 77,8 M€ a été payée en 2005 par les contribuables français pour « défaut de respect de la taille légale » par les professionnels...
Dans ce contexte catastrophique, tous les indices écosystémiques baissent :
-Le CPUE ou Capture par Unité d'Effort s’est effondré et s’il n’est pas encore quasi nul, c’est au prix d’une dramatique augmentation de l’effort de pêche, et de la rechercher de nouvelles espèces et de nouveaux espaces à exploiter.

-Les Production Primaires des Écosystèmes baissent. L'IFREMER ne le reconnaît que pour la Méditerranée dans cet article.
-La taille moyenne des poissons capturés chute de façon spectaculaire : de 98 cm dans les années 50, on est passé à 66 cm dans les années 2000. Les maquereaux sur les étals sont souvent minuscules, comme les soles et surtout les turbots qui étaient grands comme des « couvercles de poubelle » dans les années 70-80 et qui sont désormais à peine comme des assiettes … Sans s'alarmer, Tristan RENAULT constate que la pression est si intense que certaines espèces doivent se reproduire plus tôt : ça tombe bien...
-Les niveaux trophiques chutent de 1% tous les 10 ans

-Le spectre trophique se dégrade : il ne reste plus que de petites espèces à moindre valeur trophique en bas des chaînes alimentaires. Désormais, on mange les vives, les balistes et on fait des sushi de mulets. Et bientôt les méduses seront à vendre, comme en Chine.
Finalement, les sommes colossales que le contribuable a généreusement injectées dans la pêche professionnelle auront seulement réussi à freiner à peine cette dégradation inéluctable qui constitue une vraie faillite du système.
Les auteurs concluent que « l’écosystème du Golfe de Gascogne et de la Mer Celtique montrent des signes d’usure certains à la fois parce que la plupart des stocks couramment suivis sont surexploités par la pêche et parce que la composition en espèces des prises débarquées a dramatiquement changé, traduisant une modification importante de l’écosystème à long terme ».
Conclusion
L'opinion est manipulée par une masse d'articles récurrents à la gloire de la pêche commerciale qui a mis à genoux nos océans, où la parole n'est invariablement donnée qu'aux seuls pêcheurs professionnels et à « leur » institut d'état attitré, sans se soucier d'interroger d'autres intervenants.
Les « conditions environnementales » et le « réchauffement climatique » ont bon dos, comme la pollution.
Les journalistes doivent interroger l'IRD à Sète, l'Agrocampus à Rennes, l'UFC QUE CHOISIR et son récent article, qui a bien sûr déclenché cette riposte, l'association BLOOM et l'ADRM qui n'est liée par aucun conflit d'intérêt et dont les chasseurs sous-marins fondateurs expliquent comment leurs terrains de jeu de l'Amélie et de Cordouan sont devenus des déserts liquides, n'en déplaise aux statistiques trompeuses et incomplètes de l'IFREMER.
L'Association de Défense des Ressources Marines encourage les journalistes d'investigation à approfondir ce sujet bien périlleux qui deviendra explosif, comme vient de le faire brillamment CASH INVESTIGATION et l'équipe d'Élise LUCET.
L'océan est un bien commun qui n'appartient ni aux pêcheurs ni à l'IFREMER. Il appartient aux citoyens d'aujourd'hui et de demain.